
«J’avoue que j’ai été têtu», ces paroles sont de la légende du football algérien et mondial, Rachid Mekhloufi, lors d’une céré- monie en l’honneur de la glorieuse équipe du FLN, organisée par le quotidien national, El Moudjahid. Il était alors âgé de plus de 80 ans, et le poids de l’âge se répercutait sur sa démarche soutenue par une canne. Il me les a tenues alors que nos routes ne s’étaient pas croisées depuis durant plus d’une quarantaine d’années.
Notre première rencontre a commencé par un soutien sans faille du quotidien national édité à Oran, El Djoumhouria (La République) du tout nouveau sélectionneur national, demandé à cor et à cri par le monde du football national. Il remplaçait alors Hamid Zouba. Et puis, l’excellent rapport qu’il entretenait avec la rédaction sportive d’El Djomhouria s’est détérioré au fil des jours durant son mandat. Sa chute a été brutale, mais marquée par une certaine ingratitude. À la suite d’une défaite comptant pour les éliminatoires de la Coupe du monde 1974 contre la Guinée (5-1), à Conakry, la colère des sup- porters algériens devenait immense, il fallait la calmer.
L’opinion sportive aussi s’est déchaînée contre sa personne devant les résultats qui ne suivaient pas. Elle exigeait le retour de l’inou- bliable attaquant du Chabab Belouizdad, Hassan Lalmas, idole alors de tout un peuple. Fidèle à sa propre vision du football, Rachid Mekhloufi, que l’on disait intouchable, préférait abandonner la partie. Il n’avait pas compris, lui la star parmi les stars, que le public des stades avaient besoin d’eux pour le rêve qu’ils apportaient. La Fédération algérienne du football le remplaçait à son tour par le duo Mohamed El Kenz et Abdelhamid Sellal. Mais, le sport militaire le récupérait pour s’occuper de son équipe nationale.
Il s’en suivit un bicéphalisme qui allait tourner à son avantage. Il prenait sa revanche en signant son retour chez les Verts par une première médaille d’or historique, lors des Jeux méditerranéens de 1975. Puis, trois années plus tard, une seconde lors des Jeux africains d’Alger. Cette fois-ci, sans Ali Fergani, la star naissante du football national qui déclarait : «C’est une éviction». Il laissait également sur la touche le brillant capitaine du Mouloudia d’Alger, Zoubir Bachi, non sans avoir longuement discuté avec lui. «Il y a un choix à faire, lui dit-il. Tu as ta place dans cette équipe, mais tu as tes études de médecine.» Le Mouloudéen, non sans tristesse, optait pour la deuxième solution.
Les résultats en dents de scie après les Jeux africains et la désertion des stades par les supporters de l’EN sonnaient la fin de Rachid Mekhloufi, décrié comme un anti-star. Mais la fédération, reconnaissante, s’appuyait sur son expérience pour conduire le staff technique des Verts durant le Mondial-82 et son excellent parcours. Il prenait alors son bâton pèlerin pour diriger des équipes étrangères comme Mulhouse qui disputait le championnat de France avec Salah Assad, ou Nedjma du Liban, refusant les sollici- tations des clubs algériens. Sa carrière sportive terminée, il s’installait à Tunis, non sans effectuer un dernier challenge avec l’espoir de s’installer au Caire, au siège de la CAF.
En l’an 2000, à Accra, il postulait à la présidence de la Confédération africaine de football, contre Issa Hayatou qui remettait son mandat en jeu. La veille du scrutin, dans les couloirs de l’hôtel, Hayatou avait interpellé l’auteur de l’article. «J’ai beaucoup de respect pour Monsieur Mekhloufi, mais ceux qui l’ont conseillé l’envoie à l’échafaud. Je n’ai pas oublié que si je suis ici, c’est grâce à ton pays.» Le message a été transmis, sans résultat. Clap de fin. À la nouvelle de sa mort, les condoléances ont été adressées à sa famille par le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, de toute l’Afrique du Nord et de son club, Saint-Etienne, où il a son fauteuil permanent au stade Geoffroy- Guichard, théâtre de ses exploits.
Son jeune remplaçant à Saint-Etienne, l’international français, Jean-Michel Larqué, a déclaré : «Il était de la race des savants auxquels on n’a rien à apprendre, qui inventent le football. Une perle, le partenaire idéal. C’était mon exemple, mon modèle, mon maître en tant que professionnel.» Quel bel hommage venant d’un citoyen d’un pays gangréné, aujourd’hui, par le racisme. L’auteur de l’article, lors de sa rencontre (citée plus haut), a découvert la générosité de l’homme, le résistant de la cause nationale qui, en signe d’au revoir, lui a dit : «Je vois que tu es de bonne éducation. Merci d’être venu à ma rencontre.»